vendredi 21 novembre 2008

Un samedi qui ressemble à un dimanche


Samedi s’est habillé en dimanche aujourd’hui et c’est fichtrement déstabilisant de devoir subir la morosité dominicale sans être passé par la légèreté adolescente du samedi.

Le dimanche n’est pas toujours morose, c’est vrai. Ce sont les samedis déguisés en dimanche dont il faut se méfier. Il est à peine 13h, je sens que la journée va mettre un temps colossal pour se terminer, les heures sont toutes blanches et dépassent lascivement de leur cadre. J’aime pas.
Pour couper court à tout risque de sombrer dans la morosité cafardeuse ambiante, j’ai filé au Starbucks. Dictature du bien vivre, c’est ce qu’il me fallait. Je suis collée à la vitre du fond, comme ça je peux observer le tourniquet du Ritz qui crache régulièrement ses clients. Dictature de l’argent, c’est ce qu’il me fallait aussi.
J’avoue, j’ai stoppé l’hémoragie avant qu’elle se mette à ne plus s’arreter. Je n’avais pas envie d’aller trifouiller le fond de mon cafard et d’en sortir des bouts visqueux de démons plus ou moins enterrés.

C’est ce que je fais quand même en écrivant, me direz-vous.
Allons bon.

D’autant que rien ne laissait présager un samedi grimé en dimanche, rien. Ça fait partie du jeu, sans doute. Le samedi se prépare pendant la nuit et paf on ouvre un œil, et le voilà qui se dévoile avec sa robe dominicale. Et il semblerait que cet ersatz de dimanche ait mis un point d’honneur à me coller aux baskets toute la journée. Tout le monde s’y est mis, sans exception. Le soleil et ses rayons dorés qui se sont faits la malle pour me cracher leur brume au visage, le café bouillant qui s’est renversé sur les murs immaculés de la cuisine, mon homme quittant la maison à l’aube pour retrouver cette solitude après laquelle il court sans arrêt, le lit qui refroidit, qui refroidit, qui refroidit…
Je ne suis pas gâtée. Enfin, si je le suis, et beaucoup d’ailleurs. Mais pas tellement aujourd’hui, je veux dire.

Parce que ça ne s’est pas arrêté la.

Quand je suis arrivée à l’Eurodisney de la caféine, deux espagnols étaient assis face à moi. Accents catalans. J’ai été propulsée dans le San Sebastian de mon enfance et d’un coup tout est remonté, l’odeur d’Armani sur les chemises blanches de mon père, le jazz du chemin aller et celui du retour, le bar en zinc que j’atteignais à peine… Le bouquet classique. Mes yeux se sont humidifiés, ça faisait longtemps. J’avais terriblement envie d’être avec les miens, de pouvoir m’asseoir dans un fauteuil chez mon père ou ma mère et humer cette odeur amniotique, sans rien faire. Ça manque toujours, tous les jours mais parfois plus terriblement que d’autres (sans doute encore un coup du samedi déguisé en dimanche).

Il n’est que 13h57, je vous l’avais dit, on va mettre une éternité à voir la nuit pointer son nez.

J’imagine qu’il y aura quand même une sorte de dédommagement compensatoire et que demain, dimanche va m’apparaître déguisé en samedi. C’est la moindre des choses, non ? J’estime que c’est le minimum et quand on y pense bien, on se dit que ce serait aussi plutôt fair play pour le samedi qui s’est salement fait piquer sa place par dimanche. Une bonne action donc pour moi et mon nouvel ami d’infortune, Mr Samedi.

Vous allez rigoler mais avec ce lot de nouvelles pensées et de nouveaux constats, j’ai reussi à tirer sur le temps et Ô joie, la nuit est déjà en train de faire de l’œil à Shanghai. Un des interêts de vivre ici est que la nuit se couche indécemment tôt, été comme hiver. Ca abrège le cafard et donne aux noctambules un espace de jeu infini.

On y est presque… Je vais même peut-être finir par vous dire que je dois y aller, que je n’ai plus le temps. Rassurée.

Il n’y a pas eu mort d’homme.
Juste une journée qui a pris le temps de s’étirer.

Et puis on aura tout le temps de paniquer quand tous les jours se ressembleront et porteront la meme robe elimée et grise de monotonie…

Oui, on aura tout le temps de paniquer quand le samedi ne nous fera plus la blague de se déguiser en dimanche.

Pix : Lucas Gurdjian

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